ARCHÉO-ASTRONOMIE
EN ARMÉNIE

par Elma S. PARSAMIAN*

Observatoire de Byurakan

Résumé: Les images gravées dans le roc se rapportant à des phénomènes astronomiques et l'ensemble de plates-formes pour les observations astronomiques, qui ont été découvertes récemment en Arménie sont présentés.

Le haut-plateau arménien est l'un des plus anciens berceaux de la civilisation. La nation arménienne s'est formée sur ce plateau vers la fin du second millénaire et au début du premier millénaire avant l'ère chrétienne, d'une fusion graduelle des tribus vivant dans ces territoires. L'État arménien a été instauré au premier siècle avant notre ère, entre la rivière Euphrate et les montagnes de l'Antitavr.

De nombreux chercheurs spécialisés dans le domaine de l'histoire de l'astronomie, bien que n’ayant sous la main aucun fait précis, vinrent à la conclusion, principalement par déduction logique, que les anciens habitants de l'Arménie, non seulement connaissaient l'astronomi ancienne, mais qu'ils ont pris une part certaine à son développement.
Ainsi Olkott écrit-il: “Les faits astronomiques correspondent à des recherches historiques et archéologiques, et démontrent que des gens ayant inventé les anciens contoures des constellations, ont probablement vécu dans la vallée de l'Euphrate, aussi bien que dans les régions voisines de la montagne Ararat...” [1]. Maunder et Schwartz [2], se posant le problème de l'origine des constellations, ont écrit: “Des gens, qui ont divisé le ciel en constellations, ont probablement vécu entre 360-420 de l atitude nord, si bien que ni l'Égypte, ni Babylone n'auraient pu être la patrie de ces délimitations”. En calculant à quelle époque le centre d'une région “vide” avait pu, sans attribution d'astérismes, coincider avec le pôle nord, nous avons obtenu la période de 2800 avant notre ère, ce qui est probablement la date d'achèvement du travail ayant donné lieu à la désignation des constellations. On a remarqué que des animaux tels que l'éléphant, le chameau, l'hippopotame, le crocodoile ne figurent pas parmi les représentations des constellations. Nous pouvons par conséquent être certains que l'Inde, l'Arabie et l'Égypte n'auraient pu être le lieu d'origine de ces dénominations du firmament. Nous pouvons aussi exclure la Grèce, l'Italie et l'Espagne sur la base du fait que la figure du tigre est présente dans les dessins des constellations. Ainsi, purement par un raisonnement logique, nous pouvons être convaincus que la patrie de ces figures célestes doit être l'Asie Mineure et l'Arménie, c'est-à-dire une “région limitée par la mer Noire, la Mediterranée, la mer Caspienne, et la mer Égée...”[1]

Il fallait confirmer les remarques ci-dessus. Qu'a-t-on trouvé, durant les deux dernières décennies, dans le territoire arménien? L'une des trouvailles les plus importantes, qui a enrichi notre connaissance de l'astronomie ancienne en Arménie, a été l'ensemble d'images récemment découvertes, creusées dans le roc, et anciennes de plus de 3000 ans [3], ainsi que l'ensemble de plates-formes, conçues pour des obsevations astronomiques, de la petite colline de Metzamor [4,5].

Dessins creusés dans le roc

Les étoiles des constellations du Lion, du Scorpion et du Sagittaire, sont facilement identifiables à l'œil nu sur deux des fragments de roches. Les diamètres de ces dessins sont différents les uns des autres, et fonction de la grandeur apparente des étoiles. Sur un autre fragment, le Soleil, la Lune et cinq planètes, comme vus à l'œil nu, sont dessinés, et sur deux autres fragments, il y a des cercles avec des rayons, un court, et vingt-neuf longs: il s'agit probablement de la période de répétition des phases de la Lune. Sur l'un des rochers, se trouve le dessin d'un cercle (fig. 1) divisé en quatre parties, par des lignes mutuellement perpendiculaires.

Fig.1.-Dessin sur un roc.

Sur les quatre côtés opposés, on peut voir quatre figures humaines, et au centre est probablement située la Terre. Si c'est le cas, ce signe (de nature hiéroglyphique) représentant la Terre permet de supposer que les Arméniens pensaient que la Terre était probablement ronde, de toute évidence par analogie avec le Soleil et la Lune.

Un autre dessin creusé dans le roc, a été trouvé à Martunie au pied du Mont Sev-Kar (Pierre Noire). Cette image constitue un matériel d'analyses fort riche. Ici, sur la carte stellaire dessinée sur le rocher, on voit les étoiles de la constellation de l'Aigle (fig. 2), située le long d'une ligne droite. La dimension des étoiles représentées correspond à leur grandeur apparente. Un peu vers le bas, et vers la droite, on voit deux figures humaines qui portent un serpent au-dessus de leur tête. Ceci représente la constellation d'Ophiuchus. Les taches nombreuses, et deux croix dans le coin, en haut à gauche du rocher, représentent la constellation du Dauphin, et une partie de la Voie Lactée, riche en étoiles faibles. Dans la partie la plus haute du même rocher, on voit une épée, un bouclier, deux croix, et un trépied. Dans la partie correspondante du ciel, les constellations du Cygne, de la Lyre et du Renard sont situées. Par conséquent nous pouvons penser qu'à cette époque-là, la constellation du Cygne était représentée par une épée, cependant que la Lyre était représentée par un bouclier. Sur ce rocher, à côté du fond constellé d'étoiles, l'un des phénomènes célestes les plus rares est représenté: la chute d'un bolide brillant.

Fig. 2. -Carte stellaire sur un roc.
 
 
 
 
 

La site de Metzamor

Sur la berge de la rivière Metzamor, à 30 km à l'ouest de Yerevan, un centre important et ancien de métallurgie a été découvert, qui remonte au troisième millénaire avant notre ère. Là, sur la petite colline de Metzamor, en 1966, on a découvert des plates-formes d'observation astronomique, qui constituent un ensemble très particulier, un véritable ancien “observatoire” [4, 5].

La première plate-forme a une forme triangulaire, son angle aigu pointant vers le sud. La bissectrice de cet angle, coïncide avec la direction nord-sud, à une précision de ± 20. Sur le côté Est du triangle, on trouve un trapèze gravé dans le roc, qui groupe quatre figures stellaires. De plus, l'ensemble du rocher est marqué de signes que l'on voit aussi sur d'autres plates-formes. La seconde plate-forme est située à 2,50 m au dessus de la première; elle est également de forme traingulaire, et orientée le long du méridien. La troisiéme plate-forme (fig. 3) diffère des deux autres; des marches conduisant du nord au sud, et taillées dans le roc, sont grossièrement localisées dans le plan du méridien. A mesure que l'on monte vers le sommet, ces marches deviennent de plus en plus étroites, indiquant ainsi les directions “Nord-Sud-Est” gravées sur la dernière marche (fig.4). On pense qu'il s'agit d'un schéma d'orientation, rendant possibles des observations astronomiques simples. Cette plate-forme, comme les deux autres, est aussi marquée de nombreux signes.

Comme nous l'avons dit ci-dessus, du côté de l'Est, sur un trapèze d'une dimension de 55 cm X 40 cm, on trouve les représentations de quatre étoiles; trois d'entre elles sont encore en bon état de conservation. Le trapèze est plus étroit dans la direction du nord-est.

Ce choix n'est probablement pas l'effet du hasard. Dans le cas du choix occasionnel d'un emplacement pour graver des signes, le centre du plan est ce qui s'impose de la façon la plus vraisemblable, pas les bords. C'est la raison pour laquelle, en gravant les signes mentionnés ci-dessus sur la partie orientale du rocher, le sculpteur avait un but précis; et l'orientation du trapèze peut être un indice à la solution du problème. Le fait que le trapèze, avec ses représentations stellaires (fig.5), soit du côté oriental, suggère l'idée qu'il soit lié d' une façon ou d'une autre avec le lever d'une étoile ou du Soliel. Ce dernier cas doit être exclu car, déjà dans l'antiquité, le Soleil avait des désignations très bien définies.

Fig. 3. - La troisiè plate-forme.

Fig. 4. - Un signe Nord-Sud-Est avec une boussole.

Continuons donc mentalement la hauteur du trapèze jusqu'à l'horizon, et voyons avec le lever de quels objets célestes cette direction est liée. Nous mesurons l'azimut du trapèze avec un compas, et nous nous livrons à quelques calculs. Soit A l’azimut de la hauteur gravée du trapèze qui le divise en deux parties égales (la ligne en est préservée, mais dessinée de façon très grossière, si bien qu’une erreur de ±10 à la mesure est inévitable ).

Fig. 5. - Schéma de la première plate-forme avec les étoiles en forme de trapèze du cóté oriental.

Prenons en compte les corrections dues à l’inclinaison magnétique pour les latitudes de Metzamor (?A = 40); les mesures de l’azimut donnent alors la valeur A = 2980. Sur la base de formules d’astronomie sphérique, il n’est pas difficile de calculer les coordonnées équatoriales des corps célestes (ascension droite a, déclinaison ?), se levant dans cette direction, à partir des temps les plus anciens, jusqu’à nos jours. La valeur de la déclinaison étant ? = -210, la valeur de l’angle horaire t est égale à 710. A partir de là, il n’est pas difficile d’établir quelles sont les étoiles brillantes qui avaient cette déclinaison, et quand. En nous basant sur un catalogue d’étoiles [6] portant sur les millénaires passés, la table 1 donne les noms de cinq étoiles brillantes, leur magnitude, ainsi que l’époque à laquelle la déclinaison de ces étoiles a été égale à -210.
 
 

TABLE 1



 
Nom des 

étoiles

Magnitude
Époque
Sirius

Rigel

Antarès

C Ma

- 1,58

0,34

1,22

1,99

- 2600

- 2100

400

- 1000


 

II est particulièrement intéressant de noter le fait que dans cette table, l’étoile la plus brillante visible en Arménie est Sirius. C’est probablement cette étoile qui précisément fut observée et adorée par les habitants anciens de Metzamor, et l’information qu’ils ont laissée concerne probablement cette étoile-là. La déclinaison de l’étoile est très sensible au changement d’azimut et la précision de sa mesure peut varier de 1 à 20. La table 2 donne le résultat des calculs du temps auquel Sirius se lève à Metzamor au solstice d’été, et les époques pour trois valeurs différentes de l’azimut (A=2980 étant la valeur la plus probable). Nous pouvons voir, à partir de ces données, à quel point l’époque est modifiée lorsque l’on change la déclinaison de seulement 20.

TABLE 2
Azimut
Déclinaison
Temps local

du lever

Époque
3000

2980

2960

- 22020

- 21058

- 19000

4 Ñ 39 m

4 Ñ 43 m

5 Ñ 03 m

- 2800

- 2600

- 1900


 
 
 
 
 

On voit qu’en 2800-2600 avant notre ère, Sirius aurait pu être observé le jour du solstice, tôt dans la matinée, dans les rayons du Soleil levant, ce phénomène étant le “lever héliaque” de Sirius. II est évident que Sirius, étoile brillante du ciel d’été, aurait pu être l’objet d’adoration pour les habitants de Metzamor. Imaginons le panorama du ciel clair observable de Metzamor et la plus brillante étoile de ce ciel. II est possible que, comme les anciens Égyptiens, les habitants de Metzamor aient associé la première émergence de Sirius avec le commencement de l’année. La présence de l’image de Sirius, quatre fois dans le trapèze gravé sur la pierre plate, peut être expliquée par le fait que, comme dans le calendrier égyptien, oú l’année avait 365 jours, après quatre années, le lever de Sirius était déplacé du premier au second jour du mois; après quatre années de plus, du second au troisième, etc. Si ces suppositions sont correctes, alors la première plate-forme démontre que les habitants de l’Arménie étaient très au courant de ce qui se passait dans le ciel, et pouvaient avoir utilisé la période du lever de Sirius pour mesurer le temps.

D’un intérêt spécial est la troisième plate-forme. II pourrait être difficile d’affirmer que cette plate-forme ait la moindre connexion avec les observations astronomiques, si les marches, au lieu d’être dirigées du Nord au Sud, avaient été (par exemple) perpendiculaires à cette direction. Ainsi, si les marches avaient été dirigées de l’Est à l’Ouest, nous aurions pu supposer que la structure avait un but purement religieux. Mais la position de ces marches, et celle des plates-formes, sont idéales pour poursuivre des observations astronomiques, parce que dans ce cas, l’ensemble de l’horizon du Sud est ouvert de l’Est à l’Ouest. C’est certainement la raison pour laquelle l’emplacement de la troisième plate-forme dans le plan du méridien, et la ligne d’orientation sur la dernière marche, mènent à la conclusion que le choix de la direction des marches n’ètait pas dû simplement au hasard.

Le schéma d’orientation a été gravé comme une addition, corrigé de ce que les marches n’étaient pas situées exactement dans le méridien. Les marches étaient aussi des plates-formes pour les observations. Naturellement, il n’est pas exclu que ces marches aient été aussi l’emplacement idéal pour la célébration de rites religieux, et que de nombreux signes de la colline de Metzamor soient dus à cela.

Lorsque Olkott Et Maunder ont écrit les textes que nous avons cités çoncernant l’existence d’une science astronomique dans l’ancienne Arménie, aucun fait n’était encore susceptible d’étayer leur supposition. Maintenant que les recherches de la petite colline de Metzamor ont été développées, il n’y a aucun doute que des observations de corps célestes aient été menées à partir de ces plates-formes. La structure de la colline remonte aux années – 2800 – 2600 (avant notre ète), ceci étant calculé sur la base de l’orientation du trapèze selon l’hypothèse concernant Sirius. Les données archéologiques vérifient que Metzamor était habité déjà au troisième millénaire avant notre ère.
 
 

Monument mégalithique

Parmi les monuments anciens de l’Arménie, il y a un monument mégalithique, probablement symptomatique de ce qui concerne l’archéo-astronomie [7]. A 250 km au Sud-Est d’Yerevan, dans la région Zangezur de l’Arménie, il existe une structure, le Zoraz Kar (l’armée de pierre) qui remonte au deuxième millénaire avant notre ère. Les mégalithes verticales (dont beaucoup atteignent une hauteur de plus de 2 m), forment des anneaux de pierre ressemblant aux anciens monuments de pierre des menhirs de Grande-Bretagne et de Bretagne.

La similarité tout à fait remarquable entre les monuments de Grande-Bretagne et d’Arménie conduit à l’idée que les monuments de pierre de Zoraz Kar ont une signification astronomique liée aux observations du Soleil et de la Lune.

Fig. 6. - Zoraz Kar.

Le diamètre de l’un des anneaux de pierres de Zoraz Kar est de plus de 30 m, et il est remarquable que sur quelques pierres trouvées dans la région orientale, il y a des trous polis et ronds qui pourraient avoir été utilisés pour les observations du Soleil au moment de l’équinoxe et du solstice. Nous pensons que les monuments mégalithiques de Zoraz Kar apportent de nouveaux arguments démontrant l’importance des connaissances astronomiques dans l’Arménie ancienne.

En même temps que les plates-formes d’observations astronomiques de Metzamor, et que les images gravées dans le roc des montagnes de Geghama, les nouvelles découvertes ouvrent une nouvelle page dans l’histoire de l’astronomie ancienne de l’Arménie, et démontrent sa place dans la culture astronomique des temps anciens.
 
 

Fig. 1 - Dessin sur un roc.

Fig. 2 - Carte stollaire sur un roc.

Fig. 3 - Le troisième plate-forme.

Fig. 4 - Un signe Nors-Sud-Est avec une boussole.

Fig. 5 - Schéma de la première plate-forme avec les étoiles en fore de trapèze du côté

oriental.

Fig. 6 - Zoraz Kar.

* NDLR. Elma S. Parsamian, astronome à l'Observatoire de Byurakan, en Arménie soviétique, est particulièrement connue pour ses travaux d'observation des étoiles éruptives et des nébuleuses cométaires; certains de ces objets portent d'ailleurs son nom. Comme on va le voir ici, elle s'intéresse aussi à l'histoire de l'astronomie en Arménie.

(Tous les documents illustrant cet article ont été fournis par l'auteur. Tout droits réservés).
 
 

RÉFÉRENCES

[1] W. Olkott, Légendes de l'Univers stellaire, Saint Pétersbourg. 1914.

[2] E. Maunder, Astronomie sans télescope, Londres, 1906.

[3] B. E. Trumanian, C. B. Petrossian, Ucheni Zapiski de l'Université de Yerevan, 1, 16, 1970.

[4] E. S. Parsamian, K. A. Mkrtchian, Sky and Telescope, 37, 297, 1967.

[5] E. S. Parsamian, K. A. Mkrtchian, Recherche d'histoire de d'astronomie, v.X, 35, 1969, Moscou.

[6] G. S. Hawkins, S. K. Rosental, Smiths. Contr. Astroph., v.10 n0 2, 1987.

[7] E. S. Parsamian, Soobsch. Byurakan Obs., 57, 101, 1985.